Nota Bene : Dans cette partie je m’appuie sur mes connaissances acquises au cours de mes recherches, mes lectures et sur l’œuvre, Myrdhin ou l’Enchanteur Merlin de T. Hersart de La Villemarqué (1815-1895).

Qui est Merlin ?

L’histoire des celtes a suscité la création de nombreuses légendes tirées de la réalité et rapidement romancées et influencées. Mais toutes ces histoires sont une interprétation du récit d’origine.

Commençons à découvrir Merlin en remontant aux origines, c’est-à-dire aux premières références du personnage dans les traditions et les écrits.

Merlin, personnage celte

Les légendes sont conservées par la tradition celtique. Les superstitions (ou traditions païennes) ont des racines profondes qui remontent à l’Antiquité. Théodore Hersart de La Villemarqué, philologue français du 19e spécialiste de la culture bretonne, nous affirme que tous les écrivains latins connaissent l’origine des traditions et « c’est à eux qu’on doit demander l’origine du personnage singulier appelé

  • Marthin, par les anciens Bretons
  • Myrdhin, par les Gallois modernes
  • Marzin, par les Armoricains
  • Meller ou Melziar, par les Ecossais
  • Merlin, par les Français »

Myrdhin, dieu guérisseur

Les origines de ce personnage sont abstraites. Il serait un dieu antique, fils d’un père génie et d’une mère déesse de la magie suprême. Guérisseur de profession, il aurait été connu pour la fabrication de ses remèdes par la vertu des plantes. Il saurait par-dessus tout guérir des morsures de serpent : il chantait et le serpent lâchait prise, sa salive neutralisait le venin et cautérisait les plaies.

Ce dieu serait issu selon Ovide (latin, 43av.J.C. / 17ap.J.C.) du peuple des Mèdes, selon Tacite (latin, 55 / 120ap.J.C.) du peuple Germain, selon d’autres du peuple des Phéniciens (peuple d’Afrique du Nord) ou viendrait des Pouilles (région d’Italie). Son nom serait Marsus. En effet, les Marses (peuple germanique) seraient d’habiles médecins et de grands enchanteurs de serpent et celui qui faisait le métier d’enchanteur était appelé un Marse. Ainsi, le Marse est le prototype du Marthin ou Marzin.

On peut penser que les Hommes avaient le besoin de se créer un dieu plus concret qu’une transcendance divine abstraite et donc plus éloignée. Un dieu proche de l’Humanité et peut-être plus accessible.

Le dieu celte Cernunnos (ici, sur le chaudron de Gundestrup) fait penser à Merlin

Le dieu celte Cernunnos (ici, sur le chaudron de Gundestrup) partage avec Merlin son rapport à la forêt et aux animaux qui y vivent, particulièrement le cerf. On peut voir également le serpent maîtrisé. Source : Wikipedia

La naissance de Merlin

Le personnage de Merlin est présent à différentes époques et certains textes content ses naissances. On peut donc supposer que ce personnage mythique, après avoir vécu une longue période, se réincarnerait d’où son omniprésence. Cette hypothèse expliquerait ainsi que plusieurs personnages répondent au portrait – dont les traits sont mouvants – de Merlin.

Deux naissances de Merlin

On note dans l’Histoire culturelle, deux naissances connues de Merlin : une au Vème et une seconde au XIIème siècle. Les deux naissances se ressemblent et pour cause, les légendes du XIIème siècle sont de nouvelles versions, des interprétations romancées de la naissance au Vème siècle de Merlin. Le récit de la première naissance est parvenu jusqu’à nous car, conservé par la poésie populaire bretonne, il était chanté aux enfants pour les endormir. Théodore Hersart de La Villemarqué rapporte cette berceuse dans son livre*. Cependant il ne dit guère précisément de quelle époque elle provient (il est en effet assez difficile de trouver les dates exactes de sources principalement orales).

Chanson de Merlin, l’enchanteur

* Pour prendre connaissance de cette chanson nous vous conférons à la page 11 du livre numérisé
 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56841823/f36.image).
Extrait de partition de la berceuse "Merlin au berceau"

Extrait de partition « Marzin enn he gavel »

Nous regroupons maintenant tous les éléments récurrents dans les légendes qui donnent des renseignements sur les conditions de la naissance de Merlin.

La naissance de Merlin selon la légende

La mère de Merlin serait une princesse de Dyfed (comté au Pays de Galles), une jeune femme de rang noble, une druidesse, une vestale. Son père, quant à lui, est soit un génie, un Duz (petit diable en breton) ou un Fætog (« homme fée » en normand). Fin XIIe, début XIIIème siècle, les parents de Merlin sont « pseudo-christianisés » par Robert de Boron en nonne pour la mère et en incube pour le père. À l’époque, les conséquences de cette relation étaient mortelles. La mère était précipitée dans l’abîme, poussée du sommet d’une montagne ; le père était décapité. Cependant Merlin, alors âgé de 9 mois, aurait défendu sa mère auprès des juges qui leur laissèrent la vie sauve.

Dans la berceuse évoquée plus haut, la mère raconte à son fils comment elle en est venue à l’avoir mis au monde et maudit la créature qui l’a mise enceinte. C’est alors que l’enfant prend la parole pour défendre son père. Quelle surprise pour la mère d’entendre un nouveau-né parler, d’où son exclamation : « Merveille ! » qui en breton moderne se dit « marzh » (proche de « marzhin »). Merlin étant le fils d’un envoyé du Diable, il avait la connaissance innée du passé ; on dit alors que pour rendre l’équilibre de la balance, Dieu lui aurait donné le don de voir l’avenir.

Merlin et les deux dragons

La première apparition de Merlin est assez connue. Cette légende est mêlée à l’histoire des Bretons.

Portrait illustré d'Uther Pendragon

Illustration d’Howard Pyle (1903)

Uther Pendragon, héritier légitime du trône de Bretagne (Grande-Bretagne actuelle), s’est enfuit en Petite Bretagne (Armorique) suite à une vaine tentative d’assassinat. Vortigern, usurpateur qui convoitait le trône, craint une attaque d’Uther. Il décide donc de construire une tour dans laquelle il pourrait se réfugier en cas d’offensive. Cependant, la tour est démolie chaque nuit, effondrant le travail des ouvriers.

Vortigern, énervé, fait alors appel à ses conseillers et leur demande de trouver une solution au problème sous menaces de mort. Effrayés par la colère de l’usurpateur, les conseillers inventent un moyen pour remédier à la situation : verser le sang d’un enfant âgé de sept ans, né sans père. Merlin est bien évidemment cet enfant.

Enluminure Merlin et Vortigern

Merlin présenté à Vortigern

Lorsque les émissaires de Vortigern le découvrent, Merlin connaissait déjà la raison de leur venue et savait pourquoi la tour était démolie à chaque tentative de construction. Nous prenons alors connaissance de son don de divination. À sept ans, l’enfant est déjà très intelligent et rusé. Amené à Vortigern, Merlin lui apprend que le poids de la tour dérange deux dragons qui vivent en dessous. Le sol retourné, les deux Dragons sortent de terre et se livrent une terrible bataille. L’un des Dragons est blanc, l’autre est rouge. Le Blanc tue le Rouge avant de succomber.

Merlin interprète alors ce qu’il s’est passé entre les deux dragons et explique à l’usurpateur que le Dragon rouge le représente et que le Dragon blanc représente Uther, qu’Uther reviendra en Bretagne récupérer le trône qui lui appartient et que Vortigern mourra. Affolé par ces prédictions, Vortigern s’empresse de refaire construire la tour et s’y enferme. Uther revient et accompagné d’une grande armée, assiège la tour. Il demande l’aide de Merlin car il ne sait pas comme tuer son ennemi. Merlin lui répond qu’il faut qu’il lance des flèches enflammées, ce que font les archers du roi. Vortigern meurt et Merlin et Uther Pendragon deviennent amis. Notons à cet endroit que le nom Pendragon vient du gallois « pen draig » qui signifie « tête de dragon » ou « chef de guerriers ».

Merlin, Vortigern et les dragons

Merlin, Vortigern et les dragons

Au fil des interprétations, Merlin est un enchanteur, un barde, un prophète, un magicien (il pourrait changer d’apparence physique), un sage, un druide ou encore un homme pur et/ou proche de la Nature, connaissant le langage des animaux. Parfois, le nom de Merlin désigne un personnage qui aurait sombré dans la folie et qui vivrait isolé dans la forêt.

Merlin, personnage historique

Nombreuses sont également les légendes qui déclarent ou suggèrent que Myrdhin ou Merlin aurait réellement existé. Cependant il s’agirait de personnages historiques bretons auxquels on aurait attribué le nom ou le titre de Merlin.

Les Merlin de l’histoire des Bretons

Ainsi, nous retrouvons la même histoire que ci-dessus avec la tour de Vortigern qui s’écroule. Néanmoins Ambroise, jeune romain, serait cette fois-ci l’enfant né sans père recherché. Devant l’usurpateur, il ridiculise les conseillers et mène à la découverte d’un lac souterrain d’où sortent alors deux Dragons, l’un blanc – et représentant les Bretons – et l’autre Rouge – symbolisant les Anglo-Saxons. Les dragons se battant chaque nuit, voilà pourquoi la tour était sans cesse détruite. Dans cette légende, Merlin n’est pas présent et c’est un autre enfant qui est le personnage principal.

Merlin : un titre ou surnom ?

On retrouve ce personnage d’Ambroise dans plusieurs écrits de différentes époques. Ce personnage semblerait plus réel et moins fantastique que celui de Merlin. Dans l’œuvre de La Villemarqué, Ambroise est le fils d’un magistrat romain et d’une vestale (prêtresse de Vesta, vouée à la chasteté). Né dans les années 470-480 sur l’île de Bretagne, la mère réussit à détourner la punition et la famille échappe à la mort. C’est à ce moment là que le surnom / titre de Marzin ou Merlin est ajouté au nom d’Amboise. L’invasion des barbares, les Anglo-Saxons, commence. Le Roi Suprême de Bretagne, Gwrtheyrn (en Gallois moderne = Vortigern) trahit son peuple en s’alliant aux Pictes et aux Scots qui finalement se retournent contre lui et massacrent peuple et roi. Ce serait Ambroise qui arrêterait les envahisseurs.

Les historiens trouvent des traces de Merlin

Gildas le Sage (breton, VIème s.) écrit quant à lui qu’un homme de descendance royale, peut-être Romain, doux, modeste, courageux, sincère, appelé en latin Ambrosius Aurelianus, a repoussé les envahisseurs avec les Bretons survivants. Après douze ans de batailles, le calme reste pendant quarante ans. Les Bretons forment deux « divisions » insulaires sur la côte occidentale de la Bretagne et une « division » d’émigrés sur le continent Armoricain.

Dans la version de William de Malmesbury (historien anglais, 1135), Ambroise est un guerrier qui régna sur la Bretagne après Vortigern. Il a vaincu les Anglo-Saxons avec l’aide du général Arthur. Le roi qui le suit est Uther Pendragon.

Geoffroy de Monmouth (anglo-normand, XIIème s.) reprend l’histoire de la rencontre entre Vortigern et Ambroise mais renomme ce personnage Merlin, ce qui dès lors lui attribut une toute autre vie, influencée par les légendes de Bretagne. Ambroise est toutefois présent. Il est le fils du roi Constantin, Uther est son frère. Ils fuient tous deux la Bretagne car Vortigern, après avoir assassiné leur père, prend le pouvoir des mains de leur autre frère, Constant. Ils reviennent plus tard faire tomber Vortigern.

On constate que plusieurs éléments sont récurrents dans toutes ces légendes, ce qui nous laisse supposer qu’il y a sûrement à l’origine, un semblant de vérité…

Myrddin Wyllt : devin fou, isolé dans la forêt

Un autre personnage, appelé Lailoken, répondrait aussi au nom de Myrddin Wyllt « the Wild » (« le Sauvage »). Pourtant on pourrait peut-être dissocier les deux. Lailoken serait un Breton du Nord ayant vécu au VIème siècle. Prophète, il aurait prédit la mort du roi Rhydderch Hael. Homme vivant dans la nature, il est associé au personnage de Merlin. Myrddin Wyllt aurait vécu après la période arthurienne (VIème siècle). Il aurait été le barde du seigneur Gwenddolau. Il prédirait la bataille d’Arfderydd (en 573) où Rhydderch Hael massacre Gwenddolau. Ayant assisté au meurtre de son maître, Myrddin serait devenu fou et s’en serait reculé dans les profondeurs de la forêt.

Merlin est un personnage très mystérieux car on ne sait pas vraiment s’il est réel, s’il est né de l’imagination des Hommes ou si son nom désigne de simples mortels tel un titre. Une chose est sûre, c’est qu’il est présent quelles que soient les époques. Ainsi il apparaît dans les premiers romans du XIIème siècle (Moyen-âge) aux côtés d’Arthur et des Chevaliers de la Table Ronde pour les guider dans la Quête du Graal. On le retrouve même de nos jours dans les livres et le cinéma…

Merlin dans la légende arthurienne

Dans un prochain article, nous explorerons la légende du Roi Arthur et le rôle de Merlin dans la symbolique de ce récit de matière de Bretagne, écrit au Moyen-Âge.